Sur la côte basque, la guerre du foncier est déclarée

Surchauffe immobilière, contraintes locales… De Biarritz à Saint-Jean-de-Luz, le foncier devient denrée rare et exacerbe les tensions.

tron de Barnes international, sur la côte basque, Philippe Thomine-Desmazures n’est pas près d’oublier cette étrange acheteuse. Elle a laissé un jeune « Artur » mener les négociations, puis elle s’est invitée pour les dernières visites, sans se présenter. L’agent immobilier apprendra plus tard que cette femme qui venait de lui acheter l’une des plus belles maisons de Chiberta n’était autre que Lioudmila Poutina, l’ex-épouse de Vladimir Poutine, et que l’Artur en question était son compagnon. Quand on fait ce genre de métier, il ne faut s’étonner de rien. Par exemple, quand un jeune tradeur français vivant à Londres, hors des radars traditionnels des ultrariches, sans gestionnaire de fortune ni office familial, débarque pour acquérir une vieille ferme à Ciboure avec vue imprenable sur la baie de Saint-Jean-de-Luz – une opération à 4,3 millions d’euros.

«  Le marché est très actif, se félicite Philippe Thomine-Desmazures, qui en deux ans a presque doublé son nombre de transactions (haut de gamme) avec un prix moyen de 1,2 million d’euros. Jusqu’en 2014, le pouvoir de négociation était aux acquéreurs ; maintenant, quand le bien présente une certaine rareté, le rapport de forces s’est inversé : le vendeur a la main. Il sait qu’on manque de biens comparables, qu’on n’est pas sur les côtes corses ou varoises, plus escarpées, et présentant davantage de “vues sur mer” ; il peut résister.  »

Attention, n’allez pas croire que Russes et tradeurs font main basse sur la côte. Le gros des acquéreurs fortunés est constitué de papy-boomers, qui, une fois la retraite venue, vendent leurs appartements de Paris ou Bordeaux pour s’installer ici. Voilà comment les prix tutoient le niveau des beaux quartiers parisiens, en particulier sur des microniches – Chiberta, à Anglet, le golf d’Arcangues, Guéthary, la colline de Sainte-Barbe, à Saint-Jean-de-Luz. Des néo-Basques qui bichonnent leur maison. « Nous n’avons pas une clientèle “show off”, mais plutôt des gens discrets, qui ont une approche patrimoniale, témoigne l’architecte Hervé Soriano, qui crée de belles villas cachées. On travaille avec des ferronniers, des mosaïstes, des artisans qui savent encore réaliser un barreaudage fuselé comme dans des maisons du XVIIe siècle … » «  On est de plus en plus sur un marché de jouisseurs, constate pour sa part Benoît Verdet, qui, après treize ans passés chez Émile Garcin, a créé le réseau Prestant, spécialisé dans l’immobilier remarquable. Les gens veulent des maisons fonctionnelles – ce qui évite les frais de personnel –, sans trop de terrain : 80  % des propriétés présentent une surface comprise entre 2 000 et 10 000 mètres carrés. Et puis la côte basque n’est pas un territoire où l’on trouve de vastes propriétés, comme autour de Bordeaux, d’Aix-en-Provence ou de Saint-Rémy.  »

Recherche terrains désespérément

Et pour cause : il n’y en a plus. «  Le foncier se raréfie sur la côte, où sont installés 60  % des 300 000 habitants du Pays basque, explique André Garreta, président de la CCI Bayonne Pays basque et agent immobilier à Anglet. Au cours des cinq dernières années, nous avons accueilli 13 500 nouveaux habitants, une progression double par rapport à la moyenne nationale en France métropolitaine. De plus, 70  % des logements en construction se situent sur le littoral, et il y a une surchauffe immobilière sur l’ancien.  » Les propriétés s’émiettent, et les grands domaines encore détenus par des privés fondent comme neige au soleil. Il n’en reste tout au plus qu’une dizaine à Biarritz, comme la propriété Haitzura (7 hectares), vers le rond-point de la Baleine, que possède la famille d’Espagne, celle qu’Alain Afflelou a rachetée à Karl Lagerfeld sur la route d’Arbonne (8 hectares) – il serait en train de s’en séparer –, ou le vaste domaine Calaoutca – propriété d’Hervé Chapelier –, 70 hectares entre le lac Marion et l’aéroport, mais la plupart sont en zone naturelle inconstructible.

On peut y ajouter le (très) emblématique château d’Ilbarritz, racheté par l’iconoclaste homme d’affaires Bruno Ledoux, qui a bien du mal à en faire quelque chose. À Anglet, on note les terrains et appartements détenus par la Setim, la société foncière privée de la discrète famille Donnier, ou la grande propriété préservée par une congrégation catholique, les Servantes de Marie, qui en ont fait une terre d’accueil pour des personnes en difficulté et résistent aux appétits.

Le Pays basque n’est pas à vendre !